Les faits passent souvent sous silence, mais les violences conjugales sont l’un des plus grands fléaux qui gangrène les familles protestantes en Haïti.
Depuis 2012, Rosalie Etienne est mariée à un musicien d’église qu’elle a rencontré quelques années plus tôt dans un groupe de prière. Le couple n’a jamais eu d’enfants à cause de certaines complications de santé dont souffre le mari. Mais la plus grande peur de Rosalie Etienne est de supporter son homme qui devient, au quotidien, de plus en plus violent.
« Il a menacé de me frapper seulement deux années après notre mariage », explique la femme qui a vu son mari se métamorphoser dans le foyer progressivement. Selon Rosalie Etienne, son mari est devenu jaloux au point de la priver de la moindre liberté.
« Il m’interdit de sortir, de parler au téléphone, poursuit-elle. Il m’indique quand je dois rentrer ou confisque mon téléphone si j’y reste trop longtemps », toujours selon la femme qui révèle que son mari l’accuse souvent d’infidélité lorsqu’elle se déplace.
En plus, l’homme cache ses problèmes de stérilité à sa famille, selon les révélations de Rosalie Etienne. « Son père et sa mère me posent souvent des questions très embarrassantes. Lorsque je leur réponds, il m’accuse à tort car il est très attaché à sa famille », poursuit-elle.
Rosalie Etienne n’a jamais révélé ses problèmes aux dirigeants de son assemblée, car elle a des doutes sur leur réaction. « Je ne veux pas être le sujet de prédications des pasteurs ou des commérages des fidèles », craint-elle.
Une menace est bien réelle
En 2019, Nadège Joassaint Meyer, avocate et chrétienne protestante, reçoit l’invitation de plusieurs églises de la zone métropolitaine pour livrer des conférences sur des sujets liés aux violences conjugales dans les familles chrétiennes. Elle décide de lancer une enquête auprès d’une dizaine d’églises de la capitale. « 14% des femmes ayant répondu ont révélé qu’elles subissaient des violences de tout genre de la part de leur conjoint », affirme l’avocate.
Pendant les conférences, elle s’est rendue compte de l’ampleur du problème. Plusieurs femmes de l’assistance ont témoigné qu’elles connaissaient une autre qui était maltraitée par son conjoint.
« Mais, au fond j’ai ressenti qu’elles racontaient leur propre histoire. D’autres sont venues me voir personnellement sans pour autant comprendre qu’elles étaient victimes de violences conjugales », continue la juriste. Pour elle, un mari qui maltraite sa femme « déroge les fondamentaux de la Bible qui préconisent la pratique de la justice, de l’amour et de la charité. »
Jacky Chéry, Pasteur associé à l’Eglise Baptiste Evangélique de Pétion-Ville (Delmas 93), reconnait que les cas de violences conjugales sont assez fréquents dans les églises. « On n’en en parle pas souvent, mais les victimes subissent les forfaits le plus souvent dans l’anonymat et en silence. C’est même un fléau dans les églises », estime le pasteur qui révèle avoir déjà intervenu sur certains cas.
Jacky Chéry raconte que les conséquences et résultats de ces expériences font que les blessures des violences conjugales restent profondes et mêmes traumatisantes dans les foyers. Il s’agit, prolonge-t-il, d’une perte de dignité, d’estime de soi, de blessures physiques et émotionnelles. « Les résultats, du côté de la victime, amènent une certaine méfiance et pour certains forfaitaires, une sorte de gêne. Mais, pas toujours car ils sont souvent récidivistes. »
Moïse Champagne, ex-animateur de l’émission Vendredi Famille à la Radio Lumière et actuel étudiant en psychologie, classe « les violences faites aux femmes dans les foyers chrétiens dans la catégorie des choses qui ne devraient pas être citées parmi nous. » D’après lui, elles découlent d’un cœur « endurci. »
Champagne argumente en rappelant que Jésus lui-même affirmait que c’est à cause de la dureté de son cœur que l’homme répudie sa femme. Il déclare inconcevable toutes violences faites aux femmes, qu’elles soient physiques, psychologiques ou verbales.
L’église serait-elle coupable ?
Les chaires d’églises sont souvent considérées comme l’apanage de certains discours misogynes, prônant l’autorité de l’homme sur la femme. Mais, Champagne ne croit pas que les prédications transmettant des idées misogynes peuvent pousser les hommes à violenter leurs épouses.
« Quoi qu’un pasteur puisse dire d’une femme (ou de la femme) ne peut en aucun cas instiguer une action malhonnête de la part d’un homme qui aime. Ce que les charlatans (que je ne me permets pas d’appeler pasteurs) disent des femmes du haut de la chaire ne peut en aucune façon dicter le traitement que je donne à ma femme », précise-t-il.
Le Pasteur Jacky Chéry également ne pense pas qu’il y a un verset de la Bible à préconiser une autorité démesurée d’un conjoint sur un autre. « Il y a certes des mauvaises interprétations de certains passages bibliques. Comme par exemple : L’homme est le chef de la femme… Et, il y a en réalité certaines personnes qui utilisent les versets de la Bible en leur faveur pour dominer sur d’autres personnes », continue le pasteur qui affirme que la Bible est un livre équilibré et cohérent.
Pour lui, certaines églises font des efforts pour pallier au problème de violences conjugales parmi les chrétiens. « Il faut toutefois aussi considérer que les personnes qui se retrouvent souvent dans ces situations veulent encore sauvegarder un certain témoignage à l’église et par devant la société. »
Le pasteur encourage les victimes à ne pas garder silence, mais à crier aux détresses et à chercher de l’aide. En plus des séances de counseling des pasteurs, il croit que les églises devraient rassembler les compétences de professionnels comme les psychologues et les travailleurs sociaux pour contrecarrer le problème.
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Nadège Joassaint Meyer pense que l’église minimise les violences faites aux femmes car elle cherche à protéger certaines institutions comme le mariage. « La mésinterprétation de certains versets place les femmes au second plan et fait croire aux hommes qu’ils sont des êtres dominants », explique-elle.
L’approche de la soumission évoquée par la Bible est, pour Nadège J. Meyer, très mal enseignée dans plusieurs églises. Elle déplore également l’attitude de certains leaders qui ne considèrent pas les plaintes des femmes victimes. « Ils font mal la prise en charge en retournant la victime à son bourreau, mais l’idéal serait de créer une cellule qui traite spécialement ces cas. »
Victimes de violences conjugales, que faire ?
Selon Nadège Joassaint Meyer, c’est à la victime qu’il revient toujours l’ultime décision. Les recours peuvent varier selon la situation, affirme-t-elle. La victime doit premièrement se réfugier afin de se mettre dans un endroit sécurisé. « La décision finale dépendra ensuite de l’ampleur de la violence et des conditions que posent la victime », croit la juriste qui ne pense pas que le divorce doit être le premier recours.
Jacky Chéry appelle les victimes de violences conjugales à dénoncer leur bourreau, car, d’après lui, il existe beaucoup de gens capable de les aider. « On peut bien vouloir préserver sa famille, mais il faut préserver aussi et d’abord sa vie » conseille le pasteur.
Quant à Champagne, il conseille à la victime d’emprunter le chemin du dialogue la première fois et de rédiger un plan détaillé pour une sortie de crise. « Dans la recherche de solution, il faut trouver quelqu’un qui tiendra votre mari responsable de ses actes, de sa parole donnée. Laissez les parents comme dernier recours. En plus de prier, il faut également entreprendre des solutions qui tiennent compte de vos droits en tant que femmes », conclut-il.
L’EMMUS VI (Enquête mortalité, morbidité et utilisations des services VI), publiée en 2016-2017 estime que 34% des femmes ont déclaré avoir subi des violences en tout genre. 37% ont subi des violences physiques de la part de leur partenaire. Mais, seuls 24% ont déclaré avoir porté plainte ou chercher de l’aide.
Rosalie Etienne est un nom d’emprunt. La victime n’a pas souhaité être citée dans l’article.
Hadson Archange Albert
3 Comments
Il serait bien de créer ou d’activer des structures accessibles en toute discrétion pour permettre aux femmes dans les églises de chercher secours dans les cas de violences ou de menaces faites sur elles. En même temps de telles structures devraient avoir dans leur plan d’éduquer les responsables d’église sur les démarches appropriées pour aborder ces cas et pour éduquer les hommes à refuser le piège de la violence conjugale.
C’est un sujet crucial. Je crois fermement que l’église locale a son rôle important à jouer d’abord dans l’éducation des hommes et des femmes sur leurs droits et devoirs selon la Bible; ensuite dans l’appuie psychologique et spirituel à fournir tant aux victimes qu’aux bourreaux , finalement dans la prise des mesures disciplinaires en vue de décourager certaines pratiques violente.
Les leaders des églises doivent aussi mieux se former afin de pouvoir accompagner leurs membres ou de les référer aux structures compétentes correspondantes.
Finalement, je partage la douleur émotionnelle de toutes les femmes qui sont victimes de violence physique ou symbolique et je leur invite à prendre leur courage à deux mains afin d’en parler. Car le silence à la violence c’est l’acceptation de la mort lente.
Romnal Colas, pasteur assistant à l’église Baptiste Phare de la cité, congrégation de la 1ère Eglise Baptiste de Port au Prince.
En plus l’idée de créer des cellules pouvant assiter ces femmes / ces familles. Il faudrait d’abord que les membres de l’église estiment une certaine confiance en cette dite cellule.
Parfois en voulant faire le bien on peut faire plus de tort. Ces sujets sont très delicats et pas du tout faciles à gérer. Deja certaines eglises locales placent les femmes en second plan ce qui confortent les maris dans leurs suprematies. Les leaders devraient faire très attentions aux messages (verbal ou comportemental) qu’ils font passer.
Cest deja encourageant que l’on refléhissent sur ces sujets sensibles, cela montre que dans le milieu chretien on est concient de l’existence de ces problemes. Ne continuons pas à les laisser sous silence