Le 30 septembre 2020 l’orchestre Eben-Ezer d’Haïti devait souffler sa 37èmebougie. Absent du podium évangélique, l’ancien porte-étendard semble être trop rapidement passé aux oubliettes. Revenons sur les années de cette formation musicale tracées à l’encre indélébile.
« Je n’avais pas l’intention de former un groupe musical lorsque j’ai acheté cette guitare acoustique avant de présenter un duo avec ma femme au culte du dimanche quelques mois plus tard », affirme Dieuvil Laforêt, fondateur de l’orchestre Eben-Ezer d’Haïti. Inspiré par l’accueil du public et les morceaux diffusés à l’émission « Chante Lakay » de Radio Lumière, le couple a décidé de continuer l’aventure qui débouchera à la naissance de l’orchestre Eben-Ezer.
C’était en 1983. L’exode de nombreux talents vers les groupes séculiers favorisait une baisse de régime dans le secteur musical évangélique. Eben-Ezer se lance officiellement sur les ondes avec deux morceaux, dont le fameux « Roi des Rois. »
Laforet fraichement converti au christianisme et nostalgique du tambour qu’il laissait au péristyle familial trouvait dans ce projet un moyen de renouer avec la musique. La bande musicale gagne séduit de nombreux auditeurs qui attendront jusqu’au 27 mai 1985 pour assister au premier grand concert de leur pépite au Rex Théâtre.
La même année, l’orchestre accouche sous la baguette du maestro Vilan Presoit Beauséjour son tout premier album titré « Rois des Rois. » Cinq autres albums sortis entre 1988 et 2007 s’ensuivront à cet opus : « Gloria, 1988 ; Priyè Pou Ayiti, 1992 ; Anlèvman, 1994 ; N ap Tann Ou, 1998 ; Ba li Glwa, 2007. »
À défaut d’une formation galactique, Eben-Ezer était composé de musiciens solides et appliqués. Parmi eux on peut citer Henri Lamy, Glaudin Blanchard, Léa Bernadel, Lydie Félien, Sony Théodor, Esther et Sandra Laforêt.
La formation musicale est réputée pour ses fascinants arrangements de cuivres et admirée pour ses prestations tant en Haïti qu’à l’étranger. Ses fans se souviendront surtout de ses rendez-vous habituels les 2 janvier et 27 mai au Rex Théâtre et au Théâtre national.
Le groupe qui, selon Laforêt père, entretenait de bonnes relations avec les autres formations de l’époque se faisait souvent accompagner d’Alabanza, de « Semence d’en-haut » ou encore de Brière Jean Louis. Au terme de sa carrière musicale, le groupe visitera sept fois les États-Unis, parcouru les Antilles (Saint-Martin, la Martinique, la Guadeloupe) avant de réaliser une tournée promotionnelle en Europe (Belgique, France). Le tout couronné par un tournage vidéo au stade de France.
Un modèle inspirant
Avec un répertoire composé de soixante-trois chansons originales réparties en six lasers et 18 vidéoclips, l’orchestre Eben-Ezer d’Haïti s’est taillé une place de rang dans l’univers musical évangélique. De la Salsa au Zouk en passant par le Slow-Rock, le reggae, le Kompa et le merengue, le menu est également varié.
De la Création au Millénium, de la charité au pardon, les grands concepts bibliques taillent parfaitement les textes d’Eben-Ezer. On y trouve également des titres à caractère sociopolitique tels que « Travay », « Priyè Pou Ayiti » et d’autres narrant aisément les histoires bibliques comme « Mardochée » et « Rois des Rois. »
Pour une formation musicale de plus de 30 ans, l’orchestre détient un répertoire assez mince en quantité mais fort riche en genre et en thème pour marquer les esprits de toute une génération. « Je suis tombé sous les charmes de l’orchestre Eben-Ezer lorsque j’ai écouté pour la première fois « Priyè Pou Ayiti » à l’émission Chante Lakay », Esdrack Salomon, chef d’orchestre du groupe évangélique Yaveh Jire.
Il s’est mis depuis à écouter toutes les émissions évangéliques dans l’espoir d’une diffusion d’un morceau de son groupe préféré. Le claviériste a compris son amour pour le groupe lorsqu’il sélectionna « Grandè Bondye », morceau gravé sur Anlèvman, 4ème album de l’orchestre Eben-Ezer, pour être le premier morceau à interpréter avec sa première formation musicale « Vision Céleste. » Esdrack Salomon avoue s’étre inspiré, du sens rythmique et de l’art de composer de l’orchestre Eben-Ezer pour modeler sa propre bande Yavhe Jire.
Robert Nelson qui faisait office de musicien, d’assistant manager et de coordonnateur durant les 5 dernières années du groupe Eben-Ezer se réjouit des moments passés au sein de l’orchestre. Reconnaissant, le jeune tambourineur raconte que « sur le plan musical et administratif, je dois beaucoup à EBEN-EZER où j’ai appris à maitriser les relations humaines et surtout à aiguiser mon sens musical. »
Faisant l’éloge de ses coéquipiers d’alors, l’actuel chanteur de la formation Dose Divine explique que ses collègues étaient toujours là par amour. « Ces types de musiciens se font rares de nos jours », martèle-t-il. L’appréciation du public laissait aux musiciens l’impression qu’ils léguaient un héritage partout où ils performaient, déclare Nelson d’un air fier.
Un succès au goût inachevée
La symphonie de l’orchestre allait connaitre son decrescendo lorsque des jeunes ont commencé à proposer de nouvelles stratégies d’adaptation auxquelles s’opposait toujours le manager et fondateur du groupe Dieuvil Laforet, selon le récit de Robert Nelson.
Le musicien de la formation Dose Divine regrette de constater l’arrêt des activités de l’orchestre Eben-Ezer en dépit de tous les efforts consentis. Pour Nelson, Eben-Ezer n’avait rien à envier aux autres groupes évangéliques et même séculiers qui existent encore et ont su pérenniser leur institution.
Dieuvil Laforet, pour sa part, est convaincu que l’arrêt des activités de l’orchestre Eben-Ezer est la résultante du manque de support de la communauté évangélique. Le manager qui reconnait avoir négligé l’aspect de la vente des albums se dit victime du phénomène bootleg, des coups bas venant du public, des raquettes et même de certains frères chrétiens.
Le fondateur regrette d’avoir été fauché à un moment inopportun. « Avec un portefeuille considérablement diminué depuis la crise sociopolitique de 2004 qui a emporté ma principale source de revenus, je n’étais plus en mesure d’endosser les frais d’activités du groupe. Je ne pouvais plus soutenir les jeunes. Ce qui entraina une vague de découragement et emporta tout espoir de continuité », conclut-il.
Vous pouvez lire également: DANIEL J. PYTON, L’EXEMPLE DU MUSICIEN ÉVANGÉLIQUE PARFAIT
Néanmoins, l’homme à tout faire de l’orchestre Eben-Ezer se dit prêt à reprendre les activités du groupe si Dieu le lui demande. Entre temps, Pasteur Dieuvil Laforêt se contente de continuer à répondre fidèlement à son second appel qui consiste à diriger l’église de Dieu de l’espoir de Grand Gosier, laquelle abrite une école et une station de radio communautaire.
Daniel Jean Baptiste
Leave A Reply